le choix du métier
Le débat a été riche et varié, j’ai éprouvé le besoin de prendre le temps de faire un résumé qui reflète notre discussion et qui permette aussi une analyse.
La raison la plus évoquée pour déterminer le choix de ce métier est le désir précoce, le rêve, l’évidence qui s’impose à soi-même. Il s’agit de la rencontre de l’enfance avec sa vie adulte, comme si vivre son rêve d’enfant permettait de rester symboliquement dans l’enfance. On observe bien que le modèle a joué dans bien des cas, qu’une forme de reproduction s’est mise en place avec une idéalisation émanant de l’exemple. Mais on peut s’interroger sur ce vœu de travailler avec les enfants, on y retrouve évidemment la figure maternelle ,mais il est intéressant d’aller plus loin dans cette volonté de s’entourer d’enfants et se demander si les adultes ne sont pas source de méfiance pour celui ou celle qui choisit d’être maître ou maîtresse. Partant de ce constat hypothétique, cela pourrait peut-être expliquer certaines difficultés relationnelles avec les parents, avec les collègues, la peur de l’inspection où l’inspecteur est vécu comme le « pére Fouettard » , figure autoritaire de l’enfance. J’imagine que vous commencez à vous redresser en lisant mes propos et j’espère bien vous faire réagir ,non pas pour vous provoquer mais pour que vous vous interrogiez aussi sur ce « pourquoi travailler avec des enfants ? ». Quel est l’intérêt de cette interrogation ?
Il me semble que comprendre comment on fonctionne , mieux se connaître permet de mieux s’aimer soi-même. Et s’aimer soi-même n’est pas évident.
Ce choix de métier peut, me semble-t-il, être une quête de reconnaissance. Dans le cours du débat, cette attente a été clairement exprimée, à travers l’expression de faire un métier extraordinaire, l’image trop souvent dévalorisée du métier, et toutes les difficultés qui ne débouchent pas sur le respect pour celui qui les surmonte.
D’autres raisons furent évoquées comme l’aspect humanitaire du métier avec le sentiment d’utilité dans la société, la garantie de l’emploi , la qualité de vie qui finalement se heurte à la réalité des choses , c'est-à-dire une somme de travail pour chez soi et une mobilisation intellectuelle presque permanente , enfin le non-choix ( ce n’est pas vraiment un non-choix car chacun a toujours le choix, mais celui-ci correspond à ceux qui arrivent par dépit) est plus complexe, dans la mesure où la personne n’a pas d’objet de projection et va rencontrer plus de difficultés à s’investir, or cet investissement est une des conditions pour être satisfait de soi .
Nous avons vu que ces raisons avaient une influence sur notre pratique, par exemple l’aspect humanitaire du choix favorise la proximité avec les élèves en difficulté, celui qui souhaite reproduire ce qu’il a connu aura plus tendance à figer son enseignement, celui qui aura la nostalgie de son enfance se montrera plus dans l’affectif … ce dernier point est aussi à regarder de près.
Dans ce rapport affectif, il y a le désir de se faire aimer. Personnellement, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises sur le blog, nous ne sommes ni les parents , ni les copains de nos élèves, nous sommes des professionnels et la relation ne peut être ambigüe. Certes, nous nous attachons à eux , nous les aimons bien et c’est souhaitable pour créer un groupe solidaire et chaleureux, mais nous ne devons pas créer une dépendance affective qui étoufferait l’autonomie en construction de nos jeunes élèves. C’est pourquoi se libérer soi-même de cette attente affective est bénéfique pour les élèves.
La vocation ne semble pas être un paradigme pour s’assurer de la réussite professionnelle mais la motivation demeure le moteur de notre enseignement. On voit bien à travers les nombreux témoignages que celle-ci n’est pas uniforme et peut par moment défaillir.
Ce métier passionnant est difficile , difficile car il demande une formation didactique et pédagogique pointue, que le rêve idéalisé doit être abandonné et revu à la lumière de la réalité, que le temps pour atteindre sa propre satisfaction peut être long et qu’il faut de la patience ( ce qui n’est plus dans l’air du temps).
Alors l’interrogation demeure de savoir si tous les jeunes qui hésitent à faire ce métier auront le courage de s’y lancer dans les nouvelles conditions de la réforme. Les premiers chiffres au concours tendraient à montrer qu’ils sont moins nombreux à vouloir embrasser cette carrière.
Pour toutes celles et tous ceux qui sont enseignants ( encore), réfléchir à son parcours , le regarder avec intérêt et interrogation, se poser les questions du pourquoi et du comment peut aider à mieux se connaître pour mieux s’aimer soi-même.
« Pourquoi Isa veux-tu que nous nous aimions nous-mêmes ? ».
Parce que s’aimer soi-même c’est défendre son identité, et dans tout ce que nous avons dit lors de ce débat, sans le savoir (peut-être), nous avons évoqué notre identité et c’est notre bien précieux .Afin qu’elle ne soit pas menacée par nos attentes de reconnaissance, d’amour , d’admiration , soyons nous- mêmes les défenseurs de notre identité.